Jean-François Tarnowski, théoricien du septième art
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Scénarios



  1. L'univers scénaristique de JFT
  2. Note sur Nid de guêpes, par JFT


L'univers scénaristique de JFT


A ses activités de théoricien, enseignant et critique de cinéma, Jean-François Tarnowski en avait ajouté une autre, également consacré au septième art : celle de scénariste. Une activité tout aussi importante à ses yeux, même si sa réussite en la matière a été plus mitigée.

L'Ecureuil et le Samouraï est l'un des premiers grands scénarios qu'il a écrit et finalisé dans sa continuité. De nature très autobiographique, il retrace sous forme romanesque des épisodes de sa vie qui se sont déroulés dans les années 1970 et 1980.

Les autres sont d'inspiration plus classique. Parmi les plus aboutis, on peut citer :

- Marie Caillou, sur la rencontre entre deux jeunes "stars" de la psychanalyse. " Elle, environ 35 ans, mais faisant beaucoup plus jeune. Lui, environ 30 ans, mais faisant plus vieux ".

- Petit Ours, l'histoire d'un tireur d'élite pris dans la tourmente de la guerre en ex-Yougoslavie. Son synopsis commence par : " Ses amis d'enfance l'appellent Little Bear, ses collègues d'entraînement au tir Fire Eye. Il est l'un et l'autre. "

- Les Lumières de la licorne, ou l'histoire d'un braquage réalisé par une bande de copains.

- Les Voleurs de soleil, autre histoire à trame policière, co-écrit avec Michel Xerri.

- Blue Raiders, en collaboration avec un membre du GIGN.

D'autres sont restés en chantier, comme par exemple :

- Jusqu'au bout de l'enfer, avec Eric Eider.

- Sky Light, d'après une idée de Klaus Biedermann et JFT.

Enfin, il avait également des idées et une documentation parfois conséquente sur un nombre impressionnant d'autres projets.

De tous les scénarios sur lesquels il a travaillé, le seul qui a été porté à l'écran est celui de Nid de guêpes, co-écrit avec Florent-Emilio Siri et réalisé par ce dernier. Dans le texte qui suit, Jean-François Tarnowski raconte - et revit, en même temps ! - une mémorable séance de brainstorming, qui a contribué au lancement du projet.

Couverture Pariscope


Note sur Nid de guêpes, par JFT (2002)


" Plus réussi est le méchant, plus réussi sera le film. Voilà la grande règle cardinale... ", telle que l'énonce Alfred Hitchcock, dans son livre d'entretien avec François Truffaut.

La première des grandes idées de Nid de guêpes - et qui en commande beaucoup d'autres - c'est celle de ses "méchants". Car ici, nous ne sommes pas dans la pure convention, mais bien dans la plus terrifiante des réalités : celle des mafieux albanais, dans l'horreur vraie de leur sauvagerie.
[...]

Le phénomène est devenu si grave et si massif que les médias s'en font régulièrement l'écho. Recherchant pour Florent-Emilio Siri et son deuxième grand film, un sujet avec de "vrais" méchants, j'ai ainsi pris connaissance d'un article de Philippe Broussard, dans Le Monde. Dans ce grand article synthétique, le journaliste replaçait, dans un contexte global, de nombreux faits que je connaissais isolément, sans en soupçonner l'incroyable ampleur.
Je fus secoué.

Les idées se bousculaient dans ma tête, en vue d'un éventuel scénario pour Florent : des femmes-esclaves, un chef mafieux, un procès, une femme-flic, une autre jeune "intello" dans une bande de braqueurs, leur rencontre, leurs conflits, des retournements de situation.

En tirant sur un petit fil, c'est toute une bobine - encore emmêlée mais très fructueuse - qui me tombait dessus, dans l'excitation. Ce fut aussitôt décidé entre nous : le lendemain, il y aurait une grande séance de brainstorming chez Florent, avec Benoît Magimel [pressenti comme acteur du film].

Comme j'aime bien raconter les choses, je ne peux m'empêcher ici de raconter ce beau moment d'amitié et de travail.

J'arrive le jour dit. Je sors du métro et descends la rue qui mène chez Florent. Je suis, comme souvent, dans ma tête et dans les pensées qui s'y agitent.

Dans la rue, quelqu'un appelle. Ah, mais c'est mon prénom ! Je me retourne : c'est Benoît qui ne peut s'empêcher de rire. Je viens de passer devant le petit resto japonais où il déjeune, sans même l'avoir vu, pas plus que les signes qu'il m'a fait.

Je viens prendre un café avec lui et commence fébrilement à vider mon sac. Benoît m'écoute et approuve de la tête, avec ce sourire que nous aimons tous en lui. Puis, nous nous rendons tranquillement chez Florent. Et là, ça part sur les chapeaux de roues pour une séance mémorable !!!

Résumons.

Un chef mafieux albanais a été arrêté et doit être jugé. Son procès doit être exemplaire. Pas une simple peine capitale, comme aux USA. Non, un vrai procès. Comme dans cette tradition européenne de justice qui va du procès de Nuremberg à l'actuel Tribunal international de La Haye, en passant par le Tribunal Bertrand Russel (avec Jean-Paul Sartre) contre la guerre du Vietnam.

Les conséquences s'enchaînent alors de façon rigoureuse.

Pour nous, dans la fiction, ce sera Strasbourg, capitale du Parlement européen. Strasbourg, c'est en France. Ce sont donc des flics français qui seront à la manœuvre. Et pour moi, la chose est claire : c'est une femme qui sera chargée de diriger cette opération.

Une femme-flic, séduisante et ardente, qui en fait une sorte d'affaire personnelle.
Ce n'est pas la seule de sa vie.
La grande affaire de sa vie, c'est même d'abord et avant tout la petite fille qu'elle vient d'avoir. Et justement : cette femme ne veut plus jamais de cela pour le futur que connaîtra sa fille.
Plus jamais de jeunes filles enlevées, parquées dans de véritables petits camps de "concentration" et de conditionnement, torturées, violées, tatouées comme du bétail, parfois mutilées, quand ce n'est pas purement et simplement tuées.
[...]

Nous sommes européens et non américains. Dans le film, il y aura donc un super-flic allemand et un super-flic italien.
Eh oui, nos ennemis d'hier, en 39-45. Devenus - parce qu'il le faut et parce que c'est bien - nos alliés et nos amis d'aujourd'hui contre ce véritable cancer social qu'est la sournoise montée en puissance du péril mafieux.
[...]

Une menace redoutable.
A preuve, dans notre fiction, l'incroyable audace de leur attaque du fourgon blindé.
Des mafieux qui disposent de véritables armes de guerre, provenant du trafic avec les truands-miliciens de l'ex-Yougoslavie.
Des mafieux prêts à tout pour récupérer leur chef. Et qui hurlent, en écho à leur chef, le cri de guerre de la haine et de la "sauvagerie" la plus archaïque...
[...]

Le fourgon attaqué trouve refuge dans l'unique endroit du coin encore éclairé. Un entrepôt.
Un entrepôt où personne ne travaille, mais où une petite bande de braqueurs bien organisés s'activent joyeusement.

Dans cette bande, une autre femme, jeune "black" de banlieue, sera également motrice du récit et de la structuration des conflits. Cette autre femme est "l'intello", informaticienne de la bande.

Le fourgon arrive. La petite bande se planque. Les "guêpes" mafieuses arrivent, piquent à tout va et se replient. La rencontre et le conflit entre flics et braqueurs sont alors inévitables. Ce conflit se personnalise entre les deux femmes : la flic et la braqueuse.

Comme membre d'une petite bande, la braqueuse est socialement anti-keuf. Et comme femme, elle l'est, si je puis dire, encore plus : viscéralement.
Or le chef des keufs, ici, c'est une keuf.

Et pourtant, quand cette jeune braqueuse va comprendre qui est le prisonnier des flics, elle va basculer et quasiment faire scission dans la bande. Car elle a un passé de fille violée par une ordure comme ce mafieux.
Elle bascule, alors, du côté de la keuf.
Impensable, inouï et beau comme tout !
[...]

Dans cette bande, Selim, le "beur", reste hostile. Un autre de ses membres fait alors office de médiateur et de trait d'union : Santino (Benoît Magimel).

C'est à Santino qu'il revient de fédérer cette bande, dont le chef, Nasser, est gravement blessé.
Pas question de laisser Nasser comme cela. Et pas question non plus de livrer le mafieux.
Conflit dramatique des plus intenses et qui va se résoudre de façon elle-même intense.

Voilà, j'ai résumé l'essentiel.

Tout ceci, tout ce brainstorming et ceux qui ont suivi, sont devenus un film de Florent-Emilio Siri. Un film qui relève bel et bien du cinéma créatif et novateur.


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